2018/49: L’enfant qui arpentait ses rêves sur des patins de soie, Pierre GENESTE

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Par un très vieux soir de guerre, le Toine voit son père descendre l’allée gelée des premiers grands froids de janvier. Il est mené par deux gendarmes et un autre homme vêtu d’un long manteau de cuir sombre. Il ne le reverra jamais. Dès lors, Le Toine est orphelin. Il grandira mais dans son esprit, il va rester petit.

Dans son village en Auvergne d’altitude, sa vie suivra un parcours délicat. Pourtant, c’est avec une lointaine et douce indifférence qu’il en reconnaîtra le chemin. Il entend parler de la mer… ou l’océan, il ne sait pas très bien. Il se dit qu’il aimerait bien la rencontrer, la mer… ou l’océan. Il attend d’être seul, le soir, pour dans ses rêves l’imaginer. Quand il la verrait, cette étendue d’eau si vaste que les bateaux eux-mêmes s’y perdent, il saurait bien la reconnaître.

Le Toine, c’est un être qui, comme la terre et d’autres êtres en ce lieu un peu rond des montagnes d’Auvergne, souffre. Mais il regarde les souffrances de ses grands yeux étonnés, la tête un peu penchée, comme un qui, du monde, chercherait encore à s’émerveiller. Lui sera-t-il donné, au long de cette vie pas toujours très bien traitée, de trouver enfin le sentier qui mène à la mer-océan?

Un roman très sombre, conté avec excellence.

Les rêves étaient une éclaircie dans l’obscurité de la nuit mais ils pouvaient être aussi fragiles et délicats que des sentiers de verre. Il arrivait trop souvent qu’ils se brisent et ouvrent des voies effroyables, de braises et de cendres.

Il fallait les arpenter avec des patins de soie.

De prime abord, on pense rêve, enfance, insouciance, ingénuité, fraîcheur… Eh bien non… On est loin de tout ça.

Au cours des ans, Le Toine avait grandi mais son esprit était resté petit. C’était pas arrivé là tout seul par hasard un soir […] Non, c’était arrivé bien autrement. bien plus gravement.

C’était un soir. Un très vieux soir de guerre.

[…] Il posa le front contre la vitre gelée, cherchant dans la nuit un signe, un appui. Il essaya très fort, autant qu’il le put, dans son esprit toujours petit, de trouver un coin seulement à lui et comment s’y réfugier. A ce moment-là, son avenir rencontra son passé. Il y resta bloqué.

Voici le Toine, élevé par son père. Il n’a pas connu sa mère. Un jour, pendant l’Occupation, le Toine a une dizaine d’année, des gendarmes viennent arrêter son père, le laissant seul et démuni, livré à lui-même.

Abandonné, l’enfant fusionne avec la nature qui l’entoure, avec sa montagne, dont il parcourt les chemins incessamment. Il perçoit les rumeurs, s’interroge sur la mer qui porte ces grands bateaux synonymes de liberté retrouvée… Le Toine s’avance doucement vers l’adolescence en marge de cette guerre, qui l’effleure à peine. Mais voilà, rien n’est rose dans sa vie, et pour bien faire, son pauvre destin va vite le rattraper.

La police française, à la botte de l’occupant, a remis aux autorités allemandes le père du Toine. Par loyauté sans doute. A moins que ce ne fut, après tout, qu’une façon discrète de montrer à l’humanité une part de sa vérité!

L’ours borgne veille sur le sommeil de l’enfant. Il n’y a plus dans la pièce que le silence saccadé de la nuit. Comme si la guerre, soudain prise d’accalmie, était presque finie. Mais la guerre n’est pas finie. Les hommes règlent leurs comptes, brisent des jours impatients. S’emploient férocement à débâtir le monde.

[…] Les temps passaient. Le Toine grandissait, devenait fort. […] Mais dans son esprit, le Toine restait petit.

Et puis, un jour, il y aura Tiphaine. Que la vie n’a pas épargnée non plus…

La vie, au travers des yeux du Toine, est douce, innocente, s’écoule lentement. L’on n’éprouve pas le temps passant, mais les sentiments et ressentis du Toine. Toujours bienveillant. Toujours sensible. Cette écriture est comme un pansement sur les blessures terribles infligées au pauvre enfant.

C’est beau, poétique, tout en images, touches d’émotions, touches de sensations. La pureté de cet esprit un peu lent. Ses rêves d’enfant et la terrible réalité. La solitude incommensurable de ce petit bonhomme… L’espoir qui s’amenuise petit à petit… Et pourtant, il s’est accroché le Toine!

Un récit tragique, mais une plume majestueuse, subtile, élégante et poétique. Un récit dévoré en quelques heures, impossible à lâcher. Un enfant qu’on aimerait prendre dans ses bras et soulager. Tiphaine que l’on voudrait tant sortir de là… Il faut se laisser porter par le récit de cette misère, comme l’on écouterait dévaler le courant léger d’un ru.

Un grand merci à Pierre Geneste et aux Editions l’Astre Bleu de ce très beau cadeau.

 


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