2024/06 : La balafre de l’ourse, Jean-Pierre CAMPAGNE

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Au premier jour de chasse tant attendu en Ariège, une battue au sanglier tourne au drame, une ourse est tuée en tentant de protéger ses deux petits, dans une réserve naturelle pourtant interdite aux fusils.
Une infernale spirale s’enclenche : un jeune Malien qui vient de réussir à franchir clandestinement les Pyrénées est témoin du meurtre de l’ourse. Les chasseurs comprennent leur fatale erreur, mais aucun témoin ne doit parler, les dénoncer. Une autre chasse, implacable, commence…

Avec d’involontaires acteurs, devenus gibiers : un dealer malchanceux, une bergère venue pour un job d’été, une vieille dame solitaire en ses derniers jours, la nouvelle responsable de l’Office de suivi des ours qui tente d’arrêter le mortel engrenage.

Sous un terrible orage, chasseurs et chassés se cherchent, se fuient, s’affrontent dans la boue, submergés par la crue du torrent, plus vulnérables que les arbres déracinés, emportés, brisés. Avec la mort aux trousses, qui ne les lâche pas.

Un roman noir efficace et percutant.

Octobre en Ariège, au coeur du récif montagneux. Grand Frère et Petit Frère sont fébriles, vieux garçons aigris et solitaires, qui se jettent à corps perdu dans les parties de chasse qu’ils attendent de pied ferme. Justement, ils sont en train de se préparer pour une battue aux sangliers qui doit avoir lieu le lendemain. C’est peu dire qu’ils sont impatients!

Pendant ce temps-là, Bergeronnette, bergère pour l’été, s’apprête à redescendre son troupeau des pâturages. Mais comme le temps est radieux, elle monte pour les derniers jours sur de beaux alpages avant de rendre le troupeau à son propriétaire. Elle est accompagnée d’un patou et un chien de berger.

Le secteur est une zone de réintroduction des ours, qui sont tracés et très surveillés. D’ailleurs, une femelle traîne encore sur le Mont Vallier, un peu tardivement, avec ses deux oursons. Elle est prête à partir elle aussi, pour rejoindre les siens. Sylvaine, qui travaille pour l’Office de suivi de l’ours, est chargée de la surveillance de la zone Couserans, jusqu’au sommet du Mont Vallier. C’est une zone compliquée : éleveurs, écologistes et chasseurs s’y affrontent. Elle a fait une réunion d’information (de rappel surtout) avant l’ouverture de la battue. Des zones sont interdites d’accès, où les ourses ont mis bas. 

Moustapha, dit Maasai, est un immigré qui vient tout d’arriver sur le sol français. C’est un clandestin, pas de papiers, pas d’existence légale en France. Il est parti du Mali trois ans plus tôt pour rejoindre son oncle à Montreuil. Son parcours est semé d’embûches et de drames. Il est très marqué par cet exil. Ses fantômes lui collent à la peau.

Pablo aussi traîne dans le coin. Il est chargé de livrer une cargaison de coke pour El Chino. Il a rendez-vous avec l’acheteur juste après le col, frontière naturelle entre l’Espagne et la France. Mais, pas de chance, le passage es fermé quand il arrive. Il va devoir trouver une autre solution pour honorer son contrat.

Mâme Thérèse est vieille, 90 ans passés. Elle a le caractère des montagnards, rugueux, taiseux mais courageux. Son âge la rattrape : ses jambes ne la portent plus. Désormais, elle est dépendante des autres, notamment des visites de ses petits-fils. Malgré les passages plus ou moins réguliers de Grand Frère et Petit Frère, elle souffre d’isolement et de solitude. 

C’est dans ce contexte que s’ouvre la battue aux sangliers. Ce matin d’ouverture de chasse, Sylvaine soigne un reste de gueule de bois et traîne un peu des pieds. Mais elle s’inquiète de l’arrivée des chasseurs sur sa zone et de leur attitude irrespectueuse, invasive et possessive. Et ils sont en forme les chasseurs!  Ils se fichent royalement des directives de l’Office et se dirigent évidemment vers la zone interdite. Maasai, lui, voit un véhicule monter dans sa direction. Il a beau s’être mis à l’abri, il a peur. Il se sent traqué et panique. 

Il y a là une belle série de portraits, des personnages aux antipodes les uns des autres, mais très bien croqués. Malgré la brièveté des chapitres, on a une image assez nette de chacun. Autant de protagonistes qui vont se croiser sur cette courte période très particulière, et se télescoper de manière plus ou moins virulente et violente.

Ce bel espace des Pyrénées, serein et protégé, va devenir le théâtre d’une tragédie, puisque, tu t’en doutes, les chasseurs vont croiser, entre autres, la route de l’ourse. Tu verras, tu vas vite acquérir des certitudes sur la suite du récit. Et tu vas être surpris de ce que l’auteur t’a réservé.

Bien sur, tout part à vau-l’eau. Même la nature s’y met, puisque c’est à ce moment-là qu’éclate une violente tempête, provoquant la crue du torrent voisin.

Ce court roman est très dense. 170 pages seulement, mais tout y est. D’abord, le paysage superbe et la nature parfois cruelle, et la réintroduction de l’ours dans son milieu historique. Puis les hommes, la violence. L’auteur y parle d’exil et d’immigration, de tragédies morales et sociales, de trafic, de rejet et de batailles à mener, de solitude et d’isolement, de la condition d’une population rurale vieillissante, d’aspirations bucoliques et de réalité brutale, d’un fossé culturel et générationnel.

C’est un roman noir et percutant, composé de chapitres très courts mais intenses. Le style est travaillé, le mot choisi et précis. Le rythme y est très soutenu, haché, saccadé, haletant même. La plume est fluide mais franche, crue, incisive, tranchante. 

J’étais pétrie de certitudes dès les premières pages mais l’auteur a réussi à me surprendre. Il parvient à emmener le lecteur exactement là où il le souhaite. Entre roman noir et thriller, c’est une belle réussite.

Merci à Jean-Pierre Campagne de m’avoir confié son travail. C’est un coup de coeur.

ISBN 978-2-9546628-3-1. 170 pages. 14€ frais de port inclus. Auto édition


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