
Deux cent treize hommes et femmes pénètrent dans le village d’Orgape. Les quelques soixante-quinze personnes vivant dans les maisons longeant la rue principale sont saisis au petit matin, extirpés de leurs lits, poignets liés dans le dos, avant d’être parqués dans une grange non loin de l’entrée ouest et dans un garage à tracteurs au centre du village en face de la maison. Les assaillants ne perdent pas de temps et s’activent rapidement pour fabriquer des barrages et protéger les maisons placées sur les lieux stratégiques. Ils vident les quatre semi-remorques de leurs contenus : nourriture, armes, matériels informatiques, générateurs, purificateurs d’eau et l’ensemble des effets nécessaires pour tenir un siège. Toutes les voitures de passage sont détournées, priées de rebrousser chemin car le village est fermé pour cause de déminage d’une bombe non -explosée de la Seconde Guerre Mondiale.
Cette fiction qui se situe dans un futur proche, très proche, met en avant Bertrand, un insurgé incontrôlable qui mène un combat féroce contre un capitalisme moderne devenu fou, dangereux et totalement destructeur. Cette nouvelle est le préambule à un vaste cycle -« Avant Extinction » – comportant quatre romans composés par Léonel Houssam et qui paraîtront une fois achevés durant les mois et années à venir. Dans un monde définitivement condamné à disparaître, quelques individus vont débuter une quête chaotique et folle afin de tenter d’échapper à l’inexorable extinction de l’Humanité telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Voilà, Bertrand mène sa révolution. Avec ses partisans, il prend en otage un village qu’il isole du reste de la société et y instaure Sa République. Une République à sa façon… Et qui, si elle a été établie sans trop de mal, va connaître de grosses difficultés…
Parce que Bertrand n’est quand même pas très sain d’esprit. Il pète carrément les plombs même.
Ce récit m’a fait penser à la chanson de Mylène Farmer, « Désenchantée ». « Tout est chaos / A côté / Tous mes idéaux: des mots / Abimés… » « Plus rien n’a de sens, plus rien ne va ». Cette nouvelle est un récit du chaos, préambule à l’extinction de notre société qui s’atrophie: surconsommation de masse, verrouillage des idées, contrôle des pensées, des désirs et des besoins. Asphyxie générale d’un monde dans lequel on s’acharne à produire toujours plus, duquel les hommes sont des prisonniers consentants.
Bertrand aurait voulu faire réagir cette « génération du vide », une génération qui est née et a grandit dans un état de crise permanent; une génération piégée dans ce qu’elle a contribué à construire, un monde en cours d’extinction, agonisant, désenchanté, qui n’offre plus aucun espoir de quoi que ce soit de meilleur. Une génération qui a grandi avec la technologie, la communication à outrance. Une génération urbaine, connectée, consommatrice, mais passive, autocentrée, égocentrique, superficielle.
Une génération résignée, qui se laisse mener par le bout du nez sans réaction, qui accepte le mépris si elle conserve sa société telle qu’elle est, une société narcissique, où le paraître et l’hédonisme sont rois. Une génération qui n’attend rien.
Une génération Nabilla, vide et pathétique. Une génération individualiste, stupide, abrutie, futile et ridicule. Une génération qui ferme les yeux sur les manipulations de leurs dirigeants, que plus rien ne choque. Les conflits, le voyeurisme, l’exhibition sont monnaie courante et sont devenus la normalité.
Un récit très sombre, tu l’auras compris, mais percutant et très intéressant. Une écriture sans fioritures, sans concessions. Un atmosphère anxiogène à souhait, le désespoir…
Une très belle plume. A suivre.
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